À Lunéville, le château retrouve ses belles heures
Par Francine Guillou · Le Journal des Arts
Avant sa grande mue, le « Versailles lorrain » dévoile ses atours. Trois parcours mettent en avant les soixante années de son âge d’or.
Alors que le château de Lunéville s’est lancé dans un grand chantier de préfiguration après l’incendie dévastateur de 2003 (lire le JdA no 492, 4 janvier 2018), sa programmation culturelle s’étoffe d’année en année, de même que ses collections, pourtant fortement décimées en 2003. Après une année 2017 marquée par les 350 ans de la naissance de l’architecte Germain Boffrand (1667-1754) à qui l’on doit la silhouette XVIIIe de l’édifice, 2018 est l’occasion d’un partenariat avec le Musée lorrain de Nancy, qui vient de fermer pour cinq années de travaux.
Le cycle d’expositions intitulé « Les belles heures du château de Lunéville » ne propose pas moins de trois parcours dans l’enceinte du château, donnant un avant-goût de la future programmation.
Dans la salle de la Livrée, restaurée dès 2010, l’exposition « D’or et de gloire, Lunéville et ses ducs au XVIIIe siècle » présente une trentaine d’œuvres issues des collections du Musée lorrain. Si ces portraits, paysages et pièces d’apparat pouvaient passer inaperçus à Nancy, ces œuvres et objets se dotent ici d’une valeur particulière. Alain Philippot, conservateur du musée, les a choisis pour leur capacité à expliquer la vie au château de Lunéville sous les ducs de Lorraine Léopold (1679-1729) puis Stanislas (1677-1766), et leur probable présence dans les murs du château pendant ces règnes.
Altesse royale née en exil et élevée à Vienne par un père qui ne régna jamais, Léopold retrouve ses États en Lorraine au détour d’une entente avec la France : devenu l’époux d’une nièce de Louis XIV, il joue un jeu délicat, entre velléités d’indépendance et mise sous tutelle de son économie. Son Portrait réalisé en 1703 par le peintre lorrain Nicolas Dupuy est fortement inspiré des portraits versaillais de Hyacinthe Rigaud. Le duc commande en 1702 à Germain Boffrand son « Versailles lorrain » pour Lunéville, un château illustrant ses ambitions de tête couronnée. L’immense bâtisse est inachevée à sa mort en 1729. En 1737, un roi détrôné deux fois arrive pour régner sur Lunéville : Stanislas Ier Leszczynski, l’encombrant beau-père de Louis XV, vient de recevoir par traité le duché de Lorraine. Lunéville devient le terrain de jeu dispendieux d’un duc fantoche. Stanislas remodèle les jardins : Le Château de Lunéville, vue du Rocher, par André Joly, vers 1760, montre l’incroyable dispositif hydraulique actionnant 86 automates sur ce « rocher », folie qui ne survivra pas à la mort du duc en 1766. Le mobilier est envoyé à Versailles, les pavillons et les folies sont vendus à des entrepreneurs, le château est transformé en caserne.
Les « belles heures » n’auront duré que soixante ans, et pourtant, ce laps de temps est riche et intense.
Le parcours « Le château entre cours et jardins », dans les espaces restaurés, revient sur le lien que tisse l’architecture avec la nature selon le souhait des princes à Lunéville.
Une magnifique tapisserie, Les Marchands de légumes, acquise en 2017 et provenant du château d’Haroué (Meurthe-et-Moselle), plante le décor.
Des maquettes illustrent l’ingéniosité de l’architecte Germain Boffrand, et des restitutions numériques donnent une idée du faste et de la richesse des décors de la chambre de la duchesse Élisabeth-Charlotte, épouse de Léopold.
Lunéville ne vole décidément pas son surnom de « Versailles lorrain ».
La science conviée à la cour
Il faut aller du côté du commun nord pour voir le cœur des collections : « Lumière sur la cour de Lunéville » est une version augmentée de l’exposition précédente « Les coulisses du musée : 10 ans d’acquisitions révélées ».
On mesure ici le dynamisme des équipes du musée depuis l’incendie de 2003. Quelque 372 achats, 36 dons et deux legs importants de faïences ont ajouté 3 500 œuvres aux 5 187 pièces qui ont échappé à l’incendie. Ici, le siècle des Lumières s’expose, au fil des cours brillantes de Léopold et de Stanislas. Les portraits princiers occupent une grande place. Certains sont touchants comme le Portrait de François de Lorraine, futur duc de Lorraine, grand-duc de Toscane et empereur peint en 1712 par Pierre Gobert : derrière cette imposante titulature se cache un enfant âgé de 3 ans.
Sphères armillaires, planétaires, compas, graphomètres et microscope, équivalents de ceux présents dans la salle des Machines de Léopold jusqu’en 1737, attestent de la pénétration des connaissances scientifiques à la cour princière : Newton s’invite à Lunéville.
Une grande table dressée selon les usages du XVIIIe siècle présente un service en faïence fine des années 1770, une mise en scène rendue possible grâce à un legs de 2 200 pièces (dont 160 retenues par le musée) en 2015.
En fin de parcours, les calligraphies de Jean-Joseph Bernard (1740-1809), maître d’écriture de Stanislas, s’exposent à nouveau : 25 dessins sont partis en fumée en 2003.
Depuis 2005, Lunéville reconstitue patiemment le fonds de cet artiste singulier, natif de la ville, qui finira maître d’écritures de Napoléon à Saint-Cloud en 1805. La quête n’est pas terminée.
Les belles heures du château de Lunéville,
jusqu’au 31 décembre, château de Lunéville, place de la 2e-Division-de-Cavalerie, 54300 Lunéville.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°507
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"Oui, Sire, le moulin a disparu mais le vent est resté", M. de Gramont.