Du 07 au 11 Mars 2011, émission « A voix nue » sur France Culture, 5 épisodes de une demi-heure, diffusés originellement chaque jour de 20h à 20h30. Un invité par semaine, et cette semaine là Monsieur Jean-Jacques Aillagon. Le replay est disponible sur le site internet de France Culture.
De nombreuses références à Versailles et à son activité en ces lieux, je citerai notamment ces quelques échanges fort intéressants entre le journaliste et l’interviewé, pour ce qui concerne très directement Versailles :
Journaliste
Art et histoire c’est ce qui va véritablement signer votre parcours, notamment ce que vous allez entreprendre au château de Versailles en 2007. Vous êtes nommé Président de l’Etablissement Public du Musée et du Domaine National de Versailles. Qu’est-ce qu’il fallait entreprendre quand vous arrivez, quelle était votre vision ?
Interviewé
A vrai dire, j’avais déjà entrepris pour Versailles avant d’y être nommé Président puisque comme Ministre de la Culture j’avais lancé le schéma directeur pour le Grand Versailles c’est-à-dire que j’avais pris conscience de la fragilité de ce patrimoine, de son état de délabrement, de l’état de délabrement également des jardins, surtout après la grande tempête de 1999 et, alors que Christine Albanel était Présidente du château de Versailles – quand je suis arrivé au Ministère de la Culture Hubert Astier était Président de cet Etablissement – ensuite j’y ai nommé Christine Albanel, je leur ai demandé de travailler à un programme pluriannuel, même décennal de grands travaux de façon à ce que l’on remette ce bâtiment en état, qu’on y introduise un maximum de sécurité incendie, de sûreté, que l’on vérifie l’état de toutes les structures, qu’on améliore les installations destinées à l’accueil du public, que l’on restaure naturellement les décors, que l’on restaure les œuvres d’art, que l’on restaure les jardins. Et donc c’est ainsi que nous avons élaboré ce schéma directeur pour Versailles.
J’avais également été très alarmé par l’incendie du château de Lunéville. C’était au début de l’année 2003, j’étais Ministre, je me suis rendu très rapidement d’ailleurs en Lorraine étant lorrain d’origine ; donc j’ai été doublement concerné par ce désastre.
Et c’est cet incendie qui m’a conduit à demander à mes services, à l’époque, à mon cabinet, de me dire quelle était la situation dans les grands châteaux de l’Etat : à Versailles, à Compiègne, à Fontainebleau, et dans les autres. Et je m’étais rendu compte qu’à Versailles, la situation était toute particulièrement inquiétante.
Donc nous avions élaboré ce schéma directeur qui a été mis en œuvre avant mon arrivée à Versailles ; j’avais mis en place des crédits. En arrivant donc à Versailles, j’avais déjà une grande familiarité avec Versailles. En plus, je vous en fais l’aveu, Versailles j’ai toujours … j’ai toujours aimé Versailles. Je me suis … l’un de mes vieux souvenirs d’enfance c’est d’avoir visité le château de Versailles et après avoir passé le brevet élémentaire. Quand j’ai passé le brevet élémentaire – je ne sais plus à quel âge ça passait mais enfin j’étais encore très jeune – le département de la Moselle avait offert un voyage de 3 jours à Paris aux élèves méritants, à ceux qui avait obtenu au brevet les meilleurs notes. Donc je faisais partie du contingent de jeunes mosellans envoyés à Paris. Donc on a visité le zoo de Vincennes, le 14 juillet nous avons vu le défilé sur les Champs-Elysées – donc j’ai vu grâce à un périscope j’ai aperçu le général De Gaulle descendant les Champs-Elysées dans sa voiture, et puis on nous a amené au château de Versailles. Je me souviens encore de cet émerveillement radical, inoubliable que j’ai éprouvé à ce moment-là.
Journaliste
En vous disant, je vivrai là un jour – parce que vous y avez vécu !
Interviewé
Non ! Je n’ai jamais fait ce genre de plan. NON, je ne me suis jamais dit « j’irai là, j’irai là » voilà les choses se sont présentées, un peu selon finalement selon mes rêves. J’ai eu beaucoup de chance parce que finalement le destin, le hasard, la Providence, je ne sais pas quoi ont fait en sorte que mes rêves ont pu se réaliser. Et donc le jour où j’ai été nommé à Versailles, en 2007, je dois dire que j’en ai éprouvé une très très grande joie, parce que j’étais extrêmement familier de ce lieu, l’ayant beaucoup fréquenté, y étant venu très souvent, ayant fait comme Ministre ce schéma directeur pour Versailles.
Donc je me suis en quelque sorte installé à Versailles comme on se glisse dans un vêtement que l’on a spécialement préparé pour vous. Je me suis senti familier de Versailles dès le premier jour.
Journaliste
Et là vous allez mener une politique artistique offensive, avec des expositions d’art contemporain : Jeff Koons, Murakami, Bernard Venet, Xavier Veillant. Au fond, au-delà du dialogue entre le contemporain et puis le siècle de Louis XIV, qu’est-ce que vous vouliez imprimer ?
Interviewé
Bon tout d’abord, il y a eu certes cette programmation, mais il y a eu avant tout un effort tout particulier apporté aux travaux de restauration.
Journaliste
Tout à fait : de rénovation, de restauration...
Interviewé
... de l’édifice. Donc ce n’était pas l’art contemporain contre le monument, c’était toujours … à Versailles … le premier devoir c’est le monument, sa mise en valeur, sa restauration, l’accueil du public ; ce sont les missions principales d’un Etablissement comme celui-là. La restauration des jardins, jusqu’à d’ailleurs la recréation parfois de bosquets disparus.
Journaliste
Comme on vient de le voir encore dernièrement avec Louis Benech.
Interviewé
Comme on vient de le voir dernièrement … C’est la dernière décision que j’ai prise comme Président de Versailles, dans les derniers jours de ma Présidence à Versailles, de lancer cet aménagement du bosquet du « Rond Vert » par Louis Benech et Jean-Michel Othoniel.
Mais par ailleurs je me suis également dit que Versailles c’est un patrimoine admirable, mais que Versailles était également un Etablissement culturel vivant, qu’il fallait dans cet Etablissement marquer finalement l’absence de distance entre hier et aujourd’hui. J’ai toujours pensé que toute l’œuvre était contemporaine. Il n’y a pas d’œuvre du passé, et d’œuvre d’aujourd’hui, parce que toute œuvre devient contemporaine dans notre regard.
Quand vous regardez le Parthénon, vous ne le regardez pas avec les mêmes yeux qu’un Athénien du 5ème siècle avant notre ère. Quand vous regardez Notre-Dame de Paris, vous ne le faites pas avec le même regard qu’un parisien du XIIIème siècle.
Donc à Versailles il faut bien souligner que le patrimoine que représente Versailles, ou qu’abrite Versailles n’est pas quelque chose de révolu, définitivement enfermé dans le passé et que ce patrimoine a la capacité à accueillir des expressions artistiques de notre temps : dans le domaine du spectacle, mon collaborateur Laurent Brunner a mis en œuvre une politique de spectacles extrêmement brillante – il travaille d’ailleurs toujours à Versailles, sans cesse d’ailleurs sur ces deux jambes : entre la musique baroque d’un côté, et l’expression contemporaine de la musique, du spectacle, du spectacle vivant, pour employer ce néologisme.
En effet, j’ai été très attaché à introduire également dans la programmation de Versailles des épisodes contemporains comme notamment les expositions que vous avez citées.
Alors elles ont suscité… alors d’abord beaucoup d’enthousiasme d’un côté mais également des oppositions féroces, qui reposaient finalement sur une sorte de vision complètement figée du patrimoine, d’un patrimoine qu’il faudrait réduire à sa seule … à son seul être, à sa seule substance ; un patrimoine qui n’aurait plu aucune capacité à poser des questions à la création d’aujourd’hui, la création d’aujourd’hui posant d’ailleurs en retour des questions à ce patrimoine.
J’ai l’impression que c’est un devoir pour des responsables d’Etablissements culturels, justement de permettre à un public, parfois de s’étonner de la présence d’œuvres contemporaines dans un décor ancien, de se poser des questions. La pire des choses, à l’égard de toute œuvre et notamment de tout patrimoine c’est finalement le regard distrait, l’indifférence. J’ai trop souvent constaté que les visiteurs de nos grands musées, de nos grands monuments, finalement ne regardaient pas les choses. Allez au Louvre, regardez les visiteurs dans la Grande Galerie du Louvre, vous verrez à quel point on passe rapidement devant des chefs d’œuvre. Or la présence, à un moment dans un parcours d’une œuvre contemporaine, elle permet à l’attention de se fixer à nouveau, de s’interroger sur la raison d’être de la présence de cette œuvre, parfois d’ailleurs de ne pas être d’accord – le droit à la critique est totalement nécessaire – ou de trouver que c’est très subtil, mais en tout cas de redevenir attentif aux choses et puis aussi de se rendre compte qu’entre les œuvres d’hier et les œuvres d’aujourd’hui il y a des correspondances beaucoup plus subtiles que celles qu’on peut imaginer. Et Versailles n’a jamais été … ce n’est pas un carmel, ça a été un lieu de bonheur, un lieu de plaisir, car c’est un lieu fait pour la fête. Louis XIV a trop donné aux spectacles pour ne pas avoir voulu faire une maison qui soit totalement joyeuse. Cette maison il l’a voulue à la fois solennelle mais joyeuse. On se souvient des grands épisodes du Louis XIV jeune, des fêtes des Plaisirs de l’Île Enchantée ; par exemple quand on convoquait les artificiers, les musiciens, les danseurs, la scénographie, les jardiniers pour faire une sorte de fête totale. Et donc quand Murakami est présent à travers une œuvre entièrement composée de fleurs dans les jardins de Versailles on se repose évidemment la question de la relation entre la sculpture et le végétal, on ravive en quelque sorte son regard à l’égard du patrimoine.